Arte diffuse en ce moment même « L’IA au cœur du marché de l’art », un documentaire qui montre comment l’intelligence artificielle, loin d’être un gadget, tend à redéfinir chaque maillon du marché de l’art.
Le rôle de l’expert : entre savoir‑faire et remise en cause
L’authentification d’une œuvre repose depuis toujours sur l’œil exercé d’experts, historiens de l’art, complété par des outils scientifiques comme par exemple :
- La lumière ultraviolette qui révèle repeints et retouches cachées.
- La spectrométrie (IR, Raman) qui permet d’identifier précisément pigments et liants.
- La dendrochronologie afin de dater les panneaux de bois.
- La datation Carbone 14 qui permet de confirmer l’ancienneté des fibres ou des vernis.
Pourtant, face à des faux (Cranach de Liechtenstein, Frans Hals du Louvre, « Parmesan » du MET), les expertises et analyses traditionnelles ne suffisent plus : ne faudrait‑il pas, après ces déconvenues majeures, repenser nos pratiques et explorer des voies d’authentification inédites ?
Cet article montre comment, loin de se substituer aux experts, l’IA restructure les usages et les rapports de force au sein du marché de l’art.
La révolution numérique depuis dix ans : Artprice en première ligne
Il y a dix ans, rechercher les prix de vente et l’historique des enchères mobilisait deux personnes en bibliothèque : consultation de catalogues papier, appels aux maisons de vente, vérification de microfilms.
Aujourd’hui, Artprice remplace ce duo : une application smartphone donne accès, en un clic, à plus de 30 millions de résultats d’enchères et indicateurs macro‑économiques.
Aux côtés d’Artprice, Artnet propose un service similaire, mais c’est l’Intuitive Artmarket® d’Artprice qui intègre, depuis 2024, des modèles d’IA : apprentissage automatique sur les ventes 2000–2024 pour prédire la cote 2025–2029, identifier les artistes émergents et détecter les signaux faibles du marché.
Résultat : transparence accrue, circulation accélérée des lots… et volatilité renforcée.
L’IA en concurrence avec les experts : le cas Art Recognition

Art Recognition, start‑up suisse, ingère déjà plus de 250 peintres dans sa base. Sa méthode :
- Réseaux de neurones convolutionnels (CNN) pour capturer motifs et textures.
- Deep learning pour croiser données spectrales, signatures de pinceau et styles historiques (Vision Transformer avec Fenêtres Décalées SWIN).
- Analyse en quelques secondes d’une simple photographie.
Pour la Flaget Madonna de Chicago (achetée 30 000 $) , l’IA a conclu que deux personnages (Vierge et Enfant) sont de Raphaël (96 %) et deux de son atelier.
L’utilisation de l’IA pour l’authentification des œuvres de Raphaël reste un sujet brûlant, avec des résultats parfois contradictoires et des débats passionnés entre experts et technologues.
Les experts humains, réticents pour certains encore aujourd’hui, voient pourtant là un outil précieux pour gagner en rapidité et objectivité.
L’IA comme alliée de la restauration : reconstituer La Ronde de nuit
La restauration assistée par IA a permis de retrouver la dynamique originelle du tableau en recentrant les figures principales le capitaine Frans Banninck Cocq et son lieutenant au centre, ce qui rééquilibre la scène. Le processus est accessible au public, visible en direct dans une chambre vitrée au Rijksmuseum ou consultable en ligne.
Au Rijksmuseum, l’Opération Nachtwacht lancée en 2019 a permis de restaurer les 60 cm coupés en 1715 :
- Scans de 717 gigapixel & radiographies X pour une cartographie détaillée.
- IA style‑transfer afin d’adapter la palette plus chaude de la copie de Gerrit Lundens aux pigments originaux de Rembrandt.
- Impression 2D haute définition sur toile qui matérialisent les bords manquants, montés temporairement autour de l’original.


L’IA créatrice : de The Next Rembrandt aux NFT génératifs

En 2016, The Next Rembrandt a généré un portrait inédit :
- Analyse de 346 tableaux du maître.
- Modèles de deep learning pour reproduire, au bout de 500h de travail, parties du visage, coups de pinceau et reliefs.
- Impression 3D de 13 couches d’encre UV à base de peinture.
Aujourd’hui, l’art génératif régit une part croissante du marché contemporain :
- NFT : des plateformes comme Art Blocks, SuperRare proposent des milliers de créations algorithmiques, dont certaines créés par IA. Certains lots atteignent plusieurs millions de dollars.
- Volumes de vente : en 2024, les NFT d’art ont généré plus de 13 Milliards de $ de transactions, toutes formes de créations confondues, même si l’engouement est variable.
Ces œuvres questionnent la notion même de création : si l’algorithme peut imiter les maîtres et séduire le marché, où situer la valeur de la main humaine ?
En conclusion
La décennie écoulée a vu s’entremêler expertise humaine et puissance algorithmique :
- L’expert reste incontournable pour interpréter archives et analyses scientifiques.
- L’IA accélère prédictions de prix, authentifications et restaurations.
- Elle crée, aussi, ses propres œuvres et marchés (NFT émis sur une blockchain).
Cependant plusieurs questions restent sans réponse:
- Quel sera le rôle de la régulation européenne ?
- Comment former la future génération d’experts hybrides ?
- L’IA finira‑t‑elle par redéfinir la notion même d’oeuvre ?
Lire aussi :
- Focus sur l’Opération Nachtwacht et ses enjeux
- Enquête sur la Flaget Madonna de Chicago
- Analyse détaillée du faux Cranach du prince de Liechtenstein
- Le site de Lito Masters (présenté dans le documentaire) qui met en oeuvre un procédé d’impression 3D de peinture afin de reproduire fidèlement des toiles de maîtres (sur papier)
Dans un monde où la confiance se gagne à la fois sur la toile (sic) et dans les lignes de code, l’alliance humain‑machine est plus que jamais le défi du marché de l’art.
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